Nous avons demandé à Sam MB de nous parler de son parcours de musicienne et slameuse engagée, mais aussi de son rapport au corps et au féminisme. Elle nous a expliqué comment sa pratique artistique lui a permis de se réapproprier son corps.
Pour commencer, peux-tu te présenter ?
Mon nom de scène est Sam MB, je suis musicienne et j’ai commencé le slam à l’âge de 11 ans. J’étais une petite fille assez triste et réservée. J’avais besoin d’écrire mais je n’osais pas publier mes textes. Arrivée à un certain âge, j’ai eu envie de faire de la scène, de chanter, de perpétuer un peu la tradition parce que mon père aussi est musicien et était militant à mon âge. J’ai commencé par créer ma chaîne YouTube en 2011, je postais juste des petites vidéos, des reprises.
Puis j’ai rencontré le collectif de slam Awal. Cela m’a tout de suite donné beaucoup de force parce que j’ai osé lire mes textes à voix haute, j’ai osé les partager, j’ai osé les considérer comme slam. Cela m’a donné le courage de poster une première vidéo où je déclamais un de mes slams intitulé Coupable à propos du sentiment de culpabilité que j’avais à chaque fois que je montais sur scène, que je sortais, que je m’habillais. Je l’ai posté en décembre 2016 et depuis je n’ai plus arrêté.
Peux-tu nous parler de la vidéo “La rue” que vous avez filmé avec Toute fine (une autre membre du collectif Awal) ?
Quand nous nous sommes rencontrées avec Toute fine, nous avons remarqué que nous étions toutes les deux révoltées par le harcèlement de rue. Et notre premier réflexe a été de nous dire : “il faut parler de la rue”. Nous avions déjà un appareil photo, on s’est dit “on va aller filmer”. Nous sommes sorties dehors et voilà.
Après cela, tout s’est fait naturellement. Il y a eu des gens qui ont voulu participer à la vidéo, mais plus pour faire le buzz. Ils se sont appropriés la vidéo en nous disant comment faire, en voulant avoir des caméramans. A un moment donné nous étions sur le point de faire un truc hyper professionnel. Mais avec Toute fine on s’est dit qu’on voulait que ce soit une oeuvre exclusivement féminine, que ce soit notre oeuvre. On ne cherche pas la perfection et je pense qu’il y a beaucoup plus de sincérité comme cela.
Nous avons posté la vidéo en janvier 2017 et on s'attendait à ce que cela fasse un petit buzz mais pas plus de 10 000 vues ou quelque chose comme ça. Mais très rapidement nous sommes arrivées à 50 000 vue et au bout de quelques jours nous avons atteint les 140 000 vues. Il faut savoir que pour l’Algérie c’est vraiment beaucoup car on n’a pas encore cette culture de YouTube.
Puis les magazines ont commencé à reprendre la vidéo, et ça a fait un effet boule de neige. C’est à ce moment-là que les insultes ont explosé, car nous étions beaucoup plus exposées. Mais généralement, ce n’est que du positif, dans le sens où les filles ont besoin d’entendre ce que nous disons. Nous n’avons pas forcément besoin de faire un boulot excellent. Ce qu’elles veulent, c’est d’être entendues. Ce que j’ai toujours voulu, c’est donner une voix aux filles qui n'ont pas la chance de pouvoir s’exprimer publiquement.
Vidéo "La Rue"
Parmi les commentaires négatifs, est-ce que tu te souviens de quelques exemples qui t’ont marquée personnellement ?
Il y a eu des commentaires violents, des menaces comme “si je t’attrape, je t’égorge de l’oreille à l’oreille”. Il y a aussi eu des insultes et beaucoup d’autres choses. Mais cela ne m’a pas vraiment marquée.
Ce qui m’a le plus touchée, c’était des personnes qui disaient que c’était normal qu’on se fasse harceler parce qu’on était mal habillées, alors que dans la vidéo nous n’étions pas du tout provocantes. Toute fine avait une jupe très longue mais elle a été critiquée parce qu’on voyait ses chevilles. On m’a critiquée parce que j’avais un jean alors que je portais aussi une grosse doudoune. Ces critiques m’ont particulièrement interpellée car elles venaient de femmes, qui par leurs commentaires minimisent le vécu et la douleur des autres.
Comment expliques-tu qu'il y ait eu des critiques venant de femmes alors même que la vidéo avait pour objectif de les aider ?
Je pense que ce n’est pas de leur faute car on nous a appris à être en compétition entre nous. Nous nous comparons tout le temps aux autres. La question est toujours de savoir qui a le plus joli corps, mais qui le cache le mieux. Pour elles, si tu te fais harceler, c’est que tu as fait quelque chose qui n’allait pas. Cette mentalité ne vient pas uniquement des hommes mais de tout un système qui les poussent à agir ainsi pour se sentir viril, dominant.
Pourrais-tu nous parler un peu de ta vision du féminisme ?
Je pense que la question du féminisme est beaucoup plus complexe que ce qu’on pourrait penser. Je dis toujours qu’il n’y a pas un seul mais plusieurs féminismes. Mon féminisme à moi c’est “ne m’impose rien et je ne t’impose rien”.
Je prends par exemple la question du voile, sur laquelle les avis sont très divergents. Je me suis rendue compte que la question est tellement complexe que la réponse ne peut qu’être divisée en deux. En tant qu’individu, je ne veux pas qu’on m’impose le voile. Je suis même contre le concept de voile parce que je pense que cela donne une mauvaise image de la sexualité masculine, où la femme doit se cacher pour que l’homme puisse se contrôler. Par contre, je suis contre le fait d’imposer à une fille de ne pas le mettre. Si c’est sa conception de la liberté et du féminisme, je la défendrais au nom de mon humanisme et de la liberté individuelle. Ce qui compte c’est qu’elle ait le droit de le faire et qu’elle l’ait choisi.
Donc pour moi le féminisme c’est de ne pas imposer de codes à la femme, quels qu’ils soient.
Quel est ton avis sur le mouvement féministe en Algérie ?
Pour moi il n’y a pas de mouvement féministe à proprement parler. Il y a des personnes qui travaillent, des associations etc. Mais nous sommes fragmentées donc on ne peut pas parler de mouvement. Par exemple, notre local est juste à côté des deux plus grandes associations féministes ici, mais nous n’avons jamais travaillé avec elles. Donc je ne pense pas que nous puissions parler de mouvement, mais plus d’actions, comme sur le port du bikini récemment.
Est-ce que tu vois une évolution au niveau des droits des femmes en Algérie ?
Oui et non. Il y a des lois qui sont créées mais elles ne sont pas appliquées. Et il y a tout un travail de conscientisation à faire. Tant que la société n’est pas prête à appliquer les lois, elles ne servent à rien.
Il y a une certaine évolution dans le sens où la femme a le droit de s’habiller comme elle veut par exemple. Mais nous avons encore le flic dans la tête. Nous nous interdisons nous-mêmes certaines choses. Par exemple, les cafétérias fréquentées majoritairement par les hommes. Il n’y a pas écrit “interdit aux femmes”. Pourtant, aucune femme ne rentre. Le plus gros problème est social, nous nous inventons des interdictions qui n’existent pas dans la loi.
Pour revenir à ton parcours personnel, tu nous disais vouloir publier un recueil de slam sur la question du corps. Pourquoi ce sujet-là ?
D’abord parce que c’est quelque chose que j’ai vécu. J’ai passé beaucoup d’années à me haïr physiquement. Puis je me suis rendue compte que cela me bloquait dans pratiquement tous les domaines. Quand nous pensons que notre corps n’est qu’un objet sexuel, que nous ne sommes là que pour servir l’homme, nous nous bloquons nous-mêmes parce qu’on ne pense qu’à cela. Nous détestons notre corps parce que nous pensons qu’il est une source de problèmes, qu’il attire le regard de l’homme, qu’il faut le cacher, mais il doit aussi être beau. Nous n’arrêtons pas de nous comparer et nous finissons dans une compétitivité malsaine qui nous tire vers le bas au lieu de nous élever ensemble.
Lorsque j’ai dépassé cela, j’ai explosé de créativité, de bonheur. Je suis devenue tout simplement moi-même. Et quand j’ai ressenti cela, j’ai pensé qu’il fallait que j’essaye de l’expliquer le mieux et le plus possible. Parce qu’il n’y a pas une seule fille que j’ai rencontrée dans ma vie qui ne m’ait pas dit qu’elle ressentait aussi cette pression-là.
J’aime les imperfections, je trouve cela beau. Je trouve que l’humain est magnifique parce qu’il est imparfait. Et j’en ai marre que nous soyons limitées à notre corps.
Prison de chaire
Comme les femmes algériennes sont généralement plus couvertes que les femmes françaises, nous pourrions penser qu’elles sont plus détachées de l'esthétique de leur corps. Qu’en penses-tu ?
Ce qui compte, ce n’est pas forcément le fait de se couvrir mais ce qu’il y a derrière. Par exemple, Toute fine porte le voile, pas pour se cacher mais parce qu’elle aime ça.
Il est vrai que lorsque l’on se couvre le corps en pensant qu’il est source de problème, il ne nous appartient pas, parce que nous ne le présentons pas comme nous aimerions le présenter, mais comme nous pensons que l’autre voudrait qu’il soit présenté. Ce qui est d’ailleurs très compliqué parce que d’un côté, nous avons la pression pour être parfaites physiquement, et de l’autre il faut que nous soyons discrètes et donc que nous cachions notre corps.
Et c’est pour cela qu’il y a plusieurs féministes. Certaines femmes vont se sentir libres en couvrant leur corps et d’autres en le montrant. Il faut tout simplement qu’on ait le choix sans avoir à en payer les conséquences et être insultées pour cela.
Dans tes slams, tu parles beaucoup de la condition des femmes. Peux-tu nous dire comment tu as vécu ton évolution en tant que femme artiste ?
J’ai fais quelques scènes quand j’étais adolescente et j’ai vu que cela posait problème, que ce n’était pas normal pour une fille de monter sur scène et de chanter. Mes vidéos parfois ne passaient pas, les gens pouvaient réagir bizarrement. Et j’ai compris que c’était parce que j’étais une fille.
Je me souviens de la première fois où je suis montée sur scène. J’étais hyper contente de cette opportunité et je suis allée le dire à mon père qui est quelqu’un de très ouvert. Mais il a eu le réflexe de me dire non, car j’étais une fille et que certaines personnes allaient avoir une mauvaise image de moi. Au final il m’a laissée faire mais c’est le réflexe qu’il a eu. Je ne comprenais pas à l’époque et j’en ai parlé à mon frère qui était aussi musicien. J’ai été surprise de l’entendre me dire qu’effectivement je ne pouvais pas monter sur scène car j’étais une fille.
Depuis, je n’ai plus eu de problème avec mon père, mais mon frère l’a très mal vécu. Pour lui, j’allais montrer mon corps, ma voix. J’allais exciter les hommes. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’en suis venue à détester mon corps, qui était toujours source de problèmes.
Les hommes dans ma vie ne me trouvaient pas assez belle, mais en même temps ne voulaient pas que je monte sur scène parce que j’allais plaire aux hommes. C’était très paradoxal. Et c’est pour cela que j’en reviens toujours au corps. J’ai décidé de me le réapproprier et je dirais qu’aujourd’hui je me sens belle. Je ne me sens pas belle parce que quand je me regarde, je me trouve physiquement magnifique. Mais parce que je me sens belle dans la globalité de ce que je suis. Je vois toujours mes imperfections mais cela fait partie de moi. Et aujourd’hui, même mon frère accepte mes activités artistiques.
Et dirais-tu que ton travail artistique a contribué à t'aider à te réapproprier ton corps ?
Oui, totalement ! Ma vie artistique m'a appris à me définir autrement que par mon corps, à voir que ma beauté ne se limitait pas à mes atouts génétiques. J'ai réalisé qu'être seulement esthétiquement agréable n'était pas très ambitieux comme projet, et que j'avais autre chose de plus intéressant à offrir. J'ai aussi appris que mon corps n'était pas là que pour faire joli et pour provoquer le désir de l'homme, mais pour créer, innover, produire de la musique et toucher les cœurs et pas seulement les yeux. Et pour moi c'est cela la définition de la beauté.
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